Jodorowsky's Dune

J'ai passé un bon moment devant ce film documentaire, qui participe complètement à entretenir la légende autour de ce film n'ayant jamais vu le jour, mais sur le fond, je suis un peu circonspecte quand même.

C'est un documentaire très classique dans sa réalisation et son montage, presque un peu cheap. Ça fait reportage pour la télé plus que film documentaire, objet cinématographique. J'ai d’autant plus regretté cet aspect, que le sujet aurait complètement pu se prêter à une réalisation plus artistique. Après ce n'est pas le plus important non plus dans un documentaire, c'est le propos qui est important, donc ça n'impacte pas beaucoup ma notation.

Concernant le propos, j'ai trouvé le film très distrayant. Je connaissais peu Jodorowsky, mais c'est un vrai artiste, dans tout ce que ça peut représenter de lunaire. Au-delà de son projet d'adaptation de Dune, c'est un personnage à part entière, intéressant à découvrir. Le film s'efforce de nous expliquer ses idées et plus largement sa vision du film et franchement ça fonctionne hyper bien. On nous montre plein d'éléments visuels préparés à l'époque, on nous cite les acteurs, les musiciens... Bref, on fait pas du tout un documentaire avec "rien", on arrive à nous projeter dans l'univers, à nous le faire nous l'imaginer, et ça c'est une qualité énorme.

Cependant, je suis assez critique sur l'absence totale de contradiction dans ce film. On passe littéralement 1h30 à s'auto-congratuler, à dire "nous sommes les meilleurs, les plus forts, le film était parfait". Bah prouvez le pour de vrai alors ! Publiez le storyboard. Animez le comme le suggère Jodorowsky lui-même. Puis vous n'allez pas non plus me faire croire que Michel Seydoux (oui, le grand-oncle de Léa, qui joue d’ailleurs dans l'adaptation de Dune par Denis Villeneuve), qui vient quand même d'une DOUBLE famille de milliardaires (les Seydoux qui sont dans le cinéma et les Schlumberger qui sont dans le pétrole) n'aurait pas pu, déjà à l'époque, mais encore plus aujourd'hui alors qu'il co-produit ce documentaire, dire merde aux studios et produire / distribuer le film lui-même s'il l'avait voulu ?! Je trouve vraiment que quelque chose cloche dans cette histoire, et surtout sur ce point précis, donc il ne se justifie jamais. C'est trop facile d'aller reprocher à d'autres de ne pas avoir pris le risque de produire ce projet, quand il ne l'a pas fait lui-même non plus. Pour moi, on nous fait un numéro de charme bien rodé, mais il faut être naïf pour y croire complètement.

Parce que des choses dans ce projet qu'on pourrait critiquer, j'en ai vues un certain nombre moi. On travaille beaucoup avec des gens qui ne venaient pas du cinéma, y compris les acteurs, et qui ont souvent accepté le projet sans le connaître et pour des raisons douteuses. Vous pensez vraiment que Orson Welles aurait été mémorable dans le film si sa seule motivation était de boire du pinard ?! On sous entend assez largement que toutes ces personnes étaient défoncées, ce qui généralement ne produit pas un résultat de grande qualité.

On nous décrit par ailleurs une adaptation extrêmement libre, respectant que très peu le livre : c'est à double tranchant, notamment pour les lecteurs. D’autant plus qu'on prend parfois des libertés sans aucun rapport avec l'univers de Dune (la girafe en feu) et/ou d'un goût douteux (un plan de l'intérieur d'un vagin ?! Ah bah bizarrement si d'autres plans ont inspiré d'autres films, celui-ci personne n'a voulu le reprendre).

Ça me fait une transition toute trouvée : comme beaucoup d'œuvres de SF de cette période, on est d'une misogynie assez stupéfiante. Pas un mot sur la vision qu'on avait des personnages féminins pourtant essentiels à l'intrigue, comme Jessica, Irulan, ou Chani et Alia qui ne sont même pas citées. On a tellement de respect pour les actrices choisies pour ces rôles, qu'on n'hésite pas à dire de l'une d'entre elles qu'on n'a jamais sue si c'était une femme ou un homme. Classe. Et même si Amanda Lear était une femme trans (puisque c'est effectivement la rumeur qu'elle se traîne depuis des décennies) elle serait toujours une femme en fait. Elle a un physique de femme, ça fait plus de 60 ans qu'elle fait carrière en se présentant comme étant femme, il vous faut quoi de plus pour la considérer comme telle ?! Puis que dire, par ailleurs, sur l'analogie avec le viol que fait Jodorowsky à un moment : c'est juste à vomir.

Cerise sur le gâteau, on annonce un film de 12h, voire plus. Si ça vous fait envie vous de rester une demie journée devant un film, tant mieux pour vous, ce n'est pas mon cas, et pourtant je consomme infiniment plus de cinéma que le commun des mortels.

Je pense aussi que comme tous les films de cette époque, si ça s'était fait, le rendu serait aujourd'hui complètement kitch. Enfin vous avez bien vu les extraits dans le documentaire, c'est des films qui étaient des références à l'époque, sauf que rien que les décors en carton pâte et les costumes cheap sont dégueulasses vu avec un regard actuel. Alors les effets spéciaux je n'en parle pas, même s'ils avaient été à la pointe à l'époque. Qualifier le film de David Lynch "d'incroyablement mauvais", là aussi on pourra débattre, c'est dans tous les cas pas très fair-play quand on connaît les difficultés qu'il a lui-même rencontrées avec les studios pour produire ce film.

C'est peut-être mieux, d'une certaine manière, que le film n'ait jamais vu le jour. A la fois parce qu'on peut faire dire ce qu'on veut à des documents papiers, se les visualiser selon son goût, sa vieillit pas, etc. Mais aussi parce que ce projet a inspiré plein d'autres films, donc aujourd'hui on n'a pas un seul hypothétique bon film, on en a des dizaines bien réels.

Ce documentaire nous propose de suivre la création d'un film colossal, monumental, avec un casting en or, bref un projet hors du commun et ...qui ne se fera pas. Passionnant de bout en bout, on s'imagine les scènes hallucinantes dont on nous a privé. Un doc que chaque cinéphile devrait avoir vu.

On y croit... Il est si proche, si complet, on entend déjà la bande son incroyable de ce chef d’œuvre avant-gardiste et... Le film ne sort finalement pas, aucun studio américain ne souhaitant produire Jodorowsky. Mais même après cette incroyable déception, Dune est là, dans nos cœurs. Et je ne parle pas de la croûte de D. Lynch.

Le documentaire devrait être sous titré "la frustration", on passe 1h30 a vous expliqué que le film le plus génial du monde n'existe pas et n'existera jamais.

Non vraiment le documentaire est a voir, on en apprend beaucoup sur ce projet complètement fêlé d'Alejandro Jodorowski, qui si il avait abouti aurait été un chef d'oeuvre cosmique. Ou pas, qui sait. Mais c'est dur a croire tant le projet tel qu'il est exposé a de la gueule.

Ce qui me fascine assez c'est que l’échec de ce projet a conditionné toute une part de l'histoire du cinéma, en regardant le documentaire et en réfléchissant un peu, on réalise que c'est un film qui n'existe pas qui a mené a beaucoup de chef d'oeuvre adulé aujourd'hui, et c'est fascinant