Commentaires de films faits par Lyran
Répliques de films par Lyran
Commentaires de films appréciés par Lyran
Répliques de films appréciées par Lyran
La première partie du film joue sur l’ambiguïté de la relation entre Mia et Connor, accentuée par le fait qu’on est dans le point de vue de Mia. Des gestes qui pourraient objectivement relever d’un comportement paternel (il soigne une blessure qu’elle a au pied, lui ôte une partie de ses vêtements avant de la coucher alors qu’elle est endormie…) deviennent sensuels et chargés d’une potentielle attirance réciproque. J’aurais trouvé ça intéressant et sans doute plus inattendu que ce ressenti soit effectivement biaisé de la part de Mia, et que Connor n’ait pas d’intentions autres que paternelles ou amicales envers elle.
Mais évidemment, ce n’est pas le cas.
Le film ne pose pas de jugement moral explicite sur les actions de ses personnages, le parti pris de la réalisatrice est de rester dans la nuance et de refléter la complexité de de la réalité. C’est au spectateur de comprendre la brutalité sous-jacente du comportement de Connor et l’impact qu’il a sur Mia. L’adolescente cache son manque d’amour sous une attitude agressive, qui ne la rend pas moins fragile et susceptible d’être manipulée par la première personne qui s’intéressera un tant soit peu à elle.
[spoiler]Ici, c’est le cas de Connor, qui encourage sa passion pour la danse et semble la comprendre comme personne auparavant. Mia est prête à tout lui donner, et lorsque l’acte sexuel survient, elle est consentante. La situation n’en est pas moins violente psychologiquement parlant, puisqu’immédiatement après, Connor met ce dérapage sur le compte de son niveau d’alcoolémie et prend la fuite. Il piétine ainsi l’importance symbolique que prend la première fois dans la vie d’une adolescente, et ôte à Mia un allié dans son environnement chaotique en disparaissant soudainement de sa vie. Cette violence psychologique et émotionnelle ressort dans le comportement impulsif de Mia, qui va alors retrouver Connor, s’introduire dans sa maison, uriner sur sa moquette et kidnapper sa fille de sept ans.[/spoiler]
Mia n’est pas un personnage facile à appréhender ; son insolence et son agressivité ne la rendent pas particulièrement sympathique. Mais comment pourrait-elle se comporter autrement quand on voit le milieu dans lequel elle évolue ? Dès le début du film, où elle s’embrouille avec une ancienne amie, on sent que sa vie lui échappe, qu’elle est désespérément seule, enfermée dans une relation conflictuelle avec le monde. On se demande si elle pourra un jour s’en sortir, ou si elle restera éternellement ce poisson coincé dans son aquarium.
La danse semble être la voie de son émancipation, [spoiler]mais c’est à nouveau quelque chose qui se retourne contre elle et la ramène à une place sexualisée et donc aux limites de sa condition sociale, lorsque l’audition à laquelle elle se présente se révèle être pour un club de gogo dancing. Sa solution d’évasion passe finalement par sa relation amoureuse avec un jeune homme de son quartier. Ils partent ensemble s’établir loin de cette banlieue, et on voudrait que ça marche, mais on ne peut pas s’empêcher de voir que Mia n’a que quinze ans et qu’elle ne fait que reproduire le comportement de sa mère qui fait tourner sa vie autour de ses amants.[/spoiler]
Mia n’a pas eu la chance de vivre une enfance équilibrée : il suffit de voir sa petite sœur fumer et boire des bières pour deviner qu’il en a été de même pour elle, qu’elle a dû grandir trop vite et être confrontée à des problématiques qui ne sont pas de son âge. [spoiler]Cette perte précoce de son innocence se cristallise au moment où elle serre la fille de Connor dans ses bras après avoir manqué de la noyer. Cette enfant heureuse, choyée par ses parents, est tout ce qu’elle n’a jamais pu être, et l’étreinte entre les deux filles souligne ce manque dans la vie de Mia.
La maturité précoce de Suzy et Sam, leurs tourments, leur manière de s’exprimer avec gravité et leur désir d’émancipation en font des enfants « adultes », en décalage avec leurs pairs et incompris de leurs parents et tuteurs. L’absolu de leur amour enfantin est le miroir des amours ratées des adultes, qui semblent tous vivre dans les regrets et une certaine solitude. Si c’est à ça que ressemble la réalité adulte, pas étonnant que les enfants veuillent y échapper !
Comme dans chacun de ses films, le style de Wes Anderson s’impose dès la première image. Rien que la scène d’exposition, nous présentant la maison et la famille de Suzy, rassemble ses principaux gimmicks : des cadres très composés et symétriques, des mouvements de caméras rectilignes, des inserts sur les accessoires et un jeu théâtralisé. Tout ceci a bien sûr un côté artificiel qui va de pair avec cette escapade de rêveurs, sur une île qui devient une scène de théâtre à taille humaine.
L’antagoniste le plus impitoyable du film arrive assez tard :
J’ai apprécié ce film pour sa douceur et son côté nostalgique, mais également pour son humour pince-sans-rire. Le sérieux des personnages accolé à l’absurdité des situations donne un résultat assez savoureux. Pour moi, la scène qui en est la plus représentative est celle où Suzy et Sam discutent de leur mariage avec gravité, mais sans qu’on les entende, à deux pas d’un gamin qui saute sur son trampoline et capte toute notre attention. Une mise en scène incongrue, drôle et riche de signification : encore une fois, on souligne l’ambiguïté des deux protagonistes qui oscillent entre l’enfance et l’âge adulte.
Le film est porté par un duo de protagonistes complexes et très humains dans leurs contradictions. Vincent n’est pas un personnage extrêmement malin ni aimable, et certaines de ses actions sont plus que questionnables. Cependant, la douceur de Karim Leklou finit toujours par refaire surface, faisant de Vincent un loser en mal d’amour finalement plutôt attachant. Quant à Vimala Pons, son personnage peut sembler assez improbable –
Vincent doit mourir met en scène une histoire d’amour au cœur d’un déchaînement de violence physique, confrontant ainsi deux manières pour les humains de vivre leur corporalité. La violence nous est imposée, et s’il n’y a pas de volonté de l’esthétiser ou de la rendre jubilatoire, elle n’est pas non plus complètement dénoncée. Elle est juste là, dans toute son absurdité, intrinsèque à la nature humaine (on remarque en effet que les animaux ne sont pas touchés par l’épidémie : au contraire, les chiens servent même de protecteurs).
L’amour serait-il plus fort que cette violence primale ? Le film semble tendre vers cette idée, [spoiler]avec une image de fin qui porte en elle tous les messages de l’histoire : deux personnages qui se raccrochent désespérément l’un à l’autre, fuyant la violence du monde. Vincent, en guérissant de sa maladie, est passé malgré lui de victime à bourreau – mais contrairement au début du film où l’isolement semblait être la seule solution possible, il assume sa responsabilité et la violence qu’il porte en lui en se bandant les yeux, ce qui lui permet de rester avec sa compagne. Il restreint donc l’un de ses sens pour réduire son potentiel de danger, un comportement qui nous pousse à la remise en question : on se présente souvent comme victime d’une situation, mais il est bien plus dur d’assumer le rôle du bourreau, qu’on est pourtant tous amenés à incarner un jour ou l’autre. Ces yeux bandés expriment par ailleurs la confiance aveugle que Vincent accorde à Margaux – une condition nécessaire à l’amour ?
Le scénario a parfois quelques petites faiblesses : personnellement, j’ai été dérangée par le flou autour des règles de la maladie, qui paraissent un peu inventées au fur et à mesure pour faciliter l’histoire. Mais ça se pardonne aisément tant le film est généreux et ose aller au bout de son concept.
Visuellement, j’ai adoré le travail de l’esthétique kitsch et crasseuse. Les lumières sont colorées de manière radicale, avec des scènes entièrement éclairées en rouge ou en bleu. Les décors sont fantaisistes, comme cette chambre de motel intégralement recouvertes de motifs de damiers. Et il y a des trouvailles ingénieuses dans les costumes et accessoires, qui reflètent le caractère des personnages : une succession de lunettes de soleil pour Amy, qui refuse de se dévoiler, un yoyo lumineux pour le naïf Jordan, une ceinture avec une boucle ornée d’une image stéréoscopique pour Xavier le séducteur…
J’ai eu un peu de mal au départ avec le jeu des personnages, qui pris séparément, sont assez clichés. Ce sont leurs interactions les uns avec les autres qui les rendent intéressants et plus nuancés : notamment Amy, mordante et agressive, qui s’adoucit dès qu’elle est seule avec Jordan. Dans la dynamique du trio, c’est surtout Xavier qui initie l’action, en commettant le premier meurtre et en jouant le rôle du tentateur aussi bien pour Jordan que pour Amy.
Le ton du film est ironique et s’inscrit dans une démarche un peu canaille. En effet, placé au début, un panneau nous affirme qu’il s’agira d’un "heterosexual movie" – ce qui détonne par rapport à la filmographie d’Araki. On comprend cependant assez vite le sarcasme qui se cache derrière cette annonce : bien qu’on suive au départ un couple hétéro, et que chaque rapport sexuel implique Amy et l’un des garçons, c’est pourtant bien la relation entre Xavier et Jordan qui sous-tend la dramaturgie du film.
Au final, quelle est cette génération condamnée que nous annonce le titre ? Nos trois protagonistes, clichés d’une jeunesse en perdition, se font écraser par une société qui juge et incrimine. Amy est constamment harcelée par des personnes qui la reconnaissent comme leur amour perdu et cherchent à se l’approprier ; sa simple existence la met en danger (une exagération pertinente de l’expérience féminine). Quant aux garçons, le moindre faux pas en dehors des codes de la masculinité est sévèrement puni. La découverte de la sexualité apparaît comme quelque chose de transgressif, voir même diabolique (Amy compare Xavier à un démon), et l’omniprésence des références religieuses constitue un énième poids moralisateur. Bien sûr, l’homosexualité incarne la faute ultime, [spoiler]et c’est elle qui est le plus sévèrement punie avec l’émasculation puis le meurtre de Jordan.
Araki nous dépeint ainsi la société américaine sous ses pires aspects : anti-libertaire, ultraviolente, homophobe et flirtant avec le fascisme.
Ma proposition : qu’on arrête de demander à ses acteurs de jouer comme s’ils n’avaient pas d’émotions. Le personnage de John, raide et monocorde, est tout simplement insupportable – on se demande ce que May peut bien lui trouver ! De manière générale, les dialogues très écrits sonnent souvent faux. Je comprends la volonté d’avoir un jeu antinaturaliste pour raconter cette histoire ; c’est un choix qui se défend, mais qui m’a personnellement empêchée de me connecter aux personnages. J’ai eu l’impression de rester à l’extérieur du film, de voir une image de l’histoire plutôt que l’histoire en elle-même... Et en même temps, est-ce que ça ne fait pas sens avec la thématique du film : des personnages qui regardent la vie plutôt que de la vivre ?
Dès le début du film (un flashback d’une sardinade), John est sur le banc de touche. Il regarde les gens danser, sans jamais accepter de se mêler à eux. Il attend. Et ce sera ainsi tout au long du film. John entraîne May dans cette spirale de la passivité, et si on peut sourire en se disant que tiens, comme nous, ces personnages sont des spectateurs… ça en devient vite frustrant. John, et par extension, May, n’évoluent pas. Ils ne sont pas affectés par les événements du monde extérieur – et d’ailleurs, ils ne vieillissent même pas. John se place sciemment hors du monde et s’en remet au destin avec fatalisme. Il refuse toute forme d’engagement, et est au final l’exemple type du personnage à l’origine de ses propres problèmes.
J’ai tout de même apprécié certains aspects du film. Visuellement, il est assez beau, quoiqu’un peu monotone en ce qui concerne la danse. J’ai aimé les jeux de lumière dans la boîte de nuit : les couleurs, la surexposition dans la première partie du film ou encore les spots lumineux très théâtraux. La lumière contribue à donner un côté surnaturel à cette boîte, lieu à la spatialité mal définie qui attrape, perd, emprisonne, transforme…
En comparaison, les autres décors ne sont pas à la hauteur. Je pense notamment aux scènes dans l’appartement de May qui, en plus de briser le huis clos, est un lieu banal qui nous sort de ce conte fantastique avec une certaine maladresse. Car si l’objectif est un retour à la réalité, pourquoi ne pas assumer l’intention jusqu’au bout, plutôt que de rester dans une forme d’esthétisation avec notamment des filtres colorés rajoutés à l’étalonnage ?
C’est cet entre-deux qui, véritablement, m’a empêchée d’adhérer au film. Il est impossible de prendre cette histoire au premier degré : c’est un conte, une fable, avec une narratrice omnisciente et une morale finale. John, May et la narratrice ne sont pas réalistes, ce sont des archétypes. Et pourtant, j’ai eu l’impression que le film se prenait très au sérieux, en essayant de rendre ces personnages bruts et touchants, et d’instiller un souffle dramatique à cette attente absurde. [spoiler]En revanche, j’ai adoré le passage où Béatrice Dalle s’adressait à la caméra, qui a fait rire plusieurs personnes dans la salle, parce que c’était too much, et que le film assumait alors (involontairement, je pense) son côté kitsch et sa dramatisation à outrance.
Bruno et Robert vont ainsi d’une aventure à l’autre, d’une manière qui peut sembler décousue… Cependant, leur relation fait le lien entre les différentes scènes. On la voit éclore de manière organique, avec une économie de parole caractéristique à l’ensemble du film. Entre eux, l’intimité se crée sans qu’ils n’aient besoin de connaître les détails de leurs vies mutuelles, mais par le simple fait qu’ils voyagent ensemble.
Cette intimité se crée également avec le spectateur, témoin de certains détails impudiques de leurs vies, qui découlent simplement d’une relation au corps très terre à terre : on voit les personnages dénudés, se laver, faire leurs besoins, se gratter… tout cela de manière très naturelle, qui étrangement ne met pas mal à l’aise tant c’est amené comme une évidence.
À travers ce voyage, les personnages se cherchent, et cherchent à comprendre comment vivre leur vie. Leur liberté va de pair avec une certaine solitude :
Ce manque relationnel présent chez les deux protagonistes explique sans doute pourquoi ils acceptent aussi facilement de faire route ensemble, malgré leurs divergences de caractère. Toutefois, la solitude ne leur est pas exclusive : tous les autres personnages qu’ils rencontrent, dans ces paysages dépeuplés, sont seuls. L'exception, ce sont les enfants, qui eux, évoluent souvent par groupe et apparaissent régulièrement tout au long du film.
Contrairement aux adultes qui se compliquent la vie, les enfants ne se posent pas de questions ; la plupart du temps, on les voit jouer. Ils s’amusent de peu : des bateaux en papier, des adultes qui font les clowns… Quelque part, en étant ensemble et en explorant leur passé, Bruno et Robert retombent en enfance : ils chantent, rient, font des bêtises et se lient d’amitié avec une facilité juvénile. Mais ils sont cependant des adultes, avec des sentiments complexes et des blocages qui finissent par ressurgir.
[spoiler]Je me suis tout de même interrogée sur le rapport de Robert à ces enfants. De sa première scène, où on le voit faire signe à une fillette de monter dans sa voiture, à sa présentation en tant que « genre de pédiatre », il fait un peu pédophile sur les bords. Mais ce n’est jamais creusé plus que ça, ce qui m’a un peu déroutée. Ceci dit, cela va dans le sens du film qui essaye de poser une ambiance et de nous présenter des personnages au travers d’un moment fugace de leur vie, en laissant des zones d’ombres qui n’empêchent pas une certaine familiarité de se créer.
Dans ce film, on sent l’amour de Wenders pour le cinéma, matérialisé par le soin que Bruno porte à son métier et sa fascination face au matériel technique qu’il entretient. Aujourd’hui, ces images sont une mémoire de ces vieux métiers et appareils aujourd’hui désuets. Et l’une des scènes les plus touchantes du film montre le duo s’improviser acteurs burlesques en ombres chinoises, un bel hommage au cinéma muet des années 20.
Si j’ai globalement apprécié ce film, j’avoue avoir eu du mal à entrer dedans. "Au fil du temps" prend son temps – peut-être un peu trop –, et nous fait errer aux côtés de ses personnages. Une errance qui ennuie parfois… Et comme cela m’arrive lors des longs voyages en voiture avec une musique un peu planante, je me suis endormie à un moment, pendant une quinzaine de minutes. Ceci étant, en me réveillant, j’ai raccroché les wagons très facilement !
Le duo formé par Emmi et Ali brise les conventions de bien des manières. Différence d’âge, de physique, d’origine, de langage, de références culturelles (on peut noter que pour une fois, c’est la femme qui est vieille et laide, et l’homme qui est présenté comme un objet de désir, montré nu ou dans des vêtements moulants, et obéissant aux moindres souhaits de sa femme)... Tout compte fait, ce qui les rassemble, c’est de faire face ensemble à cette société rongée de préjugés.
Le film se veut avant tout être une histoire d’amour. Cependant, j’ai eu du mal à être emportée par la romance. Il est évident qu’Emmi s’accroche à Ali surtout parce qu’elle a peur d’être seule ; on ne la voit jamais s’intéresser à lui en profondeur, à ses désirs, ses goûts, sa culture... Quant à Ali, il a certes été touché par la générosité et la vulnérabilité d’Emmi, mais de là à ce qu’il tombe amoureux d’elle ? Son personnage, peu bavard, reste assez opaque sur l’ensemble du film, ce qui ne m’a pas aidé à croire en l’intensité de ses sentiments. Ajoutons à cela une caméra souvent distante, qui filme un quotidien de couple banal : autant de choix qui m’ont empêchée d’adhérer à cette histoire.
Certains partis pris de mise en scène m’ont toutefois assez plu. J’ai apprécié la théâtralité des longs plans sur tous ces personnages figés, au regard fixe rivé sur Emmi et Ali. Distillés tout au long du film, ils créent une atmosphère oppressante et transmettent sans un mot tout le jugement porté par la société sur ce couple hors-normes. Le cadre et la composition de l’image accentuent également ce sentiment d’étouffement, en enfermant les personnages dans des lignes rigides, derrière des barreaux d’escaliers, dans des encadrements de portes, etc.
La théâtralité du film se retrouve aussi dans le traitement presque caricatural des personnages secondaires.
Évidemment, on ne peut pas parler du film sans discuter son traitement du racisme. Il y est décliné sous toutes ses formes, des plus insidieuses aux plus éhontées. On sent une volonté de nuancer le personnage d'Emmi, ancienne adhérente du parti nazi, qui se retrouve être la moins raciste de tous. Son passé fasciste, qu’elle évoque avec nostalgie, apparaît comme une forme de naïveté, une dissonance cognitive.
Si pour l’époque, le propos du film était sans doute subversif, on peut se demander si cette manière d’aborder ces problématiques est toujours pertinente de nos jours. Ali est tout de même réduit à un certain nombre de clichés : l’homme arabe infidèle, qui adore le couscous, qui ne parle pas bien allemand… Enfin, un autre point qui, pour moi, a mal vieilli : le montage entrecoupé de fondus au noir à la fin de chaque séquence, qui alourdit le film.
Comme c’est généralement le cas pour les films de procès, le film repose beaucoup sur ses dialogues. L’enjeu, c’est de les rendre pertinents, intéressants, et de ne pas les faire exister au détriment de la mise en scène. Un défi qu’Anatomie d’une chute relève avec brio, en nous gardant captivés par cette affaire somme toute assez simple grâce à des tirades percutantes et une direction d’acteur maîtrisée. La théâtralité de l’avocat général dynamise le procès, et fait le contrepoids efficace d’une Sandra mesurée et contenue. L’absence de musique extradiégétique confère un ton naturaliste au film, appuyé par certains choix visuels qui font très documentaire : la caméra épaule, les zooms brusques, ou les interventions de la presse télévisée.
Durant le film, on suit souvent le point de vue de l'enfant, Daniel, qui fait écho à celui du spectateur. C’est avec lui qu’on découvre le corps de Samuel, avec lui que l’on doute de Sandra, avec lui qu’on est dans le noir – littéralement.
Étant donné le manque de preuves pouvant confirmer les deux hypothèses défendues lors du procès – le suicide de Samuel ou son meurtre par Sandra –, la vérité semble être du côté de celui qui parle le mieux, et on a du mal à faire notre choix.
Anatomie d’une chute, en plus de disséquer la chute très littérale de Samuel, explore la chute de l’amour dans un couple qui ne se comprend plus, et celle de Sandra dans l’opinion publique. Par manque de preuves concrètes, l’avocat général détaille sa vie de manière anatomique pour s’attaquer à sa personne morale : Sandra est infidèle, castratrice, froide, manipulatrice... Ces chutes qui se succèdent comme un jeu de dominos commencent et finissent avec Daniel. [spoiler]C’est son accident qui fait naitre des tensions mortifères dans le couple, et c’est son choix final qui rattrape et sauve Sandra.
J’ai cependant trouvé l’opposition entre Sandra et Samuel un peu manichéenne. Les prises de positions de Sandra apparaissent assez sensées et légitimes, et je n’ai pas eu de mal à la croire lorsqu’elle affirmait qu’il était lui-même à l’origine de sa propre souffrance, bien qu’elle apparaisse alors presque insensible au mal-être de son mari.
Bref, ça se laisse regarder, mais c'est loin d'être renversant.
Sauf que - et c'est là le cœur du problème -, j'ai davantage eu l'impression de voir une dissertation illustrée par de la vidéo, qu'un vrai film. La mise en scène parait souvent artificielle, présente soit pour caser des arguments, soit pour essayer d'apporter du mouvement au milieu des conversations interminables. Ces intentions, trop présentes, trop visibles, empêchent de laisser se créer les situations organiquement.
Et puis, en tant qu'habituée des discours féministes, ce film ne m'a rien apporté de nouveau. Toute cette discussion, je l'ai déjà eue, lue, entendue, et les points de vue défendus sont toujours peu ou prou les mêmes. À qui se destine donc ce long-métrage ? Son but est-il d'élargir l'esprit de ceux qui ne se sentent pas concernés par les problèmes qu'il expose ? Si c'est le cas, j'ai bien peur qu'il ne réussisse qu'à prêcher auprès des convaincus, car je ne vois pas comment quelqu'un d'antiféministe déciderait volontairement de regarder ce film. À la limite, il pourrait être intéressant à étudier en classe pour ouvrir les débats parmi les élèves.
Bref, tout compte fait, la seule chose qui m'a surprise durant mon visionnage,
Toutefois, je ne suis pas du tout convaincue par l'aspect fantastique du film, qui ne me semble pas assez assumé. Utiliser la transformation en loup-garou comme métaphore d'un désir incontrôlé fonctionne dans l'idée,
N'ayant vu que la bande-annonce au préalable, je pensais découvrir une histoire d'amitié. Mais cette relation, que j'espérais pouvoir explorer en profondeur, n'est même pas le sujet principal du film, qui part dans une direction bien plus dramatique que ce à quoi je m'attendais (le synopsis, si je l'avais lu, aurait pu me mettre la puce à l'oreille). Première déception.
Par ailleurs, j'ai eu du mal avec la réalisation, que j'ai trouvée académique, froide et distanciée. Je comprends la volonté de ne pas faire du mélo avec renfort de grands discours sanglotants, mais à force de vouloir jouer la subtilité, les regards qui veulent tout dire et les sentiments réprimées, le film s'embourbe dans une constipation émotionnelle assez lassante. Résultat, alors que j'ai plutôt la larme facile, tout cette histoire m'a finalement laissée de marbre.
En termes d'adaptation, on ne s'en tire pas trop mal, malgré une résolution quelque peu tirée par les cheveux,
À l'image, c'est le conflit entre de jolis cadres et le kitsch mal vieilli des costumes et effets spéciaux. Heureusement, le film ne se prend pas trop au sérieux - sans être non plus une parodie. J'ai beaucoup aimé l'interprétation de Justinien par Pierre-Olivier Mornas, qui apporte une certaine candeur au personnage et le rend plus sympathique que dans le livre. Ticky Holgado dans le rôle du geôlier était également un excellent choix de casting.
Car sous ses dehors clinquants, le scénario est creux. Le propos ne va pas au-delà de l'histoire d'amour dysfonctionnelle vue et revue, et c'est bien dommage, car le concept avait suffisamment de potentiel pour proposer une intrigue plus originale et plus profonde.
En effet, en tant que femme, pas évident d'apprécier un film où toutes les nanas sont considérées comme de la chair fraîche mise à libre disposition de nos deux protagonistes. Ce duo est d'ailleurs présenté dans le résumé comme des "révoltés", ce qui est l'euphémisme du siècle : ils ne sont ni plus ni moins que des hommes complètement immatures au comportement immonde - mais comme ils sont beaux et malins, on leur pardonne, n'est-ce pas ?
Autrement, c'est bien écrit, bien joué, bien filmé. Mais le propos est nauséabond, surtout parce qu'il est difficile de percevoir le positionnement du cinéaste par rapport aux frasques de ses personnages. Ainsi, la majorité des rapports sexuels dépeints sont tout simplement des viols, mais ne sont jamais reconnus comme tels - et ça ne m'étonnerait pas que ni le réalisateur, ni les acteurs n'en aient eu conscience. Tout est présenté sous couvert de la fameuse libération sexuelle (ce qui, rétrospectivement, montre bien l’ambiguïté de ce mouvement, pas vraiment à l'avantage des femmes).
Peut-être aurais-je été moins mal à l'aise si j'avais vu ce film en connaissance de cause, en m'attendant à une comédie érotique dépeignant des fantasmes très masculins. Je l'aurais pris moins au sérieux, sans doute.
Dans les bons points, j'ai été assez agréablement surprise de voir
On retrouve là plusieurs codes communs aux films de Guillermo del Toro : un contexte de guerre en arrière-plan, une condamnation de la violence, et un méchant macho qui lie symboliquement la virilité à cette violence.
[spoiler]Si la punition de l’antagoniste vient condamner cette virilité toxique, on note quand même que la résolution du conflit se fait par la violence. Les personnages les plus innocents, Carlos et les autres enfants, cèdent à cette pulsion en donnant des coups de pieu à leur bourreau avant de le pousser dans le bassin où il finira noyé. On peut y voir une perte de leur innocence, impossible à conserver lorsque partout la guerre fait rage ; une énième conséquence de ce climat de violence qui gangrène tout autour de lui.[/spoiler]
L’échine du diable interroge sur ce qu’est un fantôme et donne sa propre réponse : c’est un moment de douleur figé dans le temps, à l’image de cet obus désamorcé condamné à rester planté dans le sol, sans pouvoir exploser. Le huis-clos dans l’orphelinat, isolé de tout, transforme ce lieu en petit théâtre du malheur de la vie humaine. Il s’y dégage une forme d’immobilité ; les personnages qui l’habitent sont hantés par leur passé et leurs douleurs anciennes. Même le médecin, tout inoffensif qu’il soit, conserve dans son bureau des fœtus en bocaux – [spoiler]qui ne sont pas sans évoquer le cadavre de l’enfant tué par Jacinto, reposant dans le bassin du sous-sol.[/spoiler]
Le film aime jouer sur ce genre de parallèles et d’oppositions. À l’image, il travaille le contraste entre lumière et obscurité, avec de sombres événements se déroulant la nuit ou dans des recoins peu éclairés, dans un orphelinat situé au milieu d’un désert ensoleillé. [spoiler]Et Jacinto pèche aussi bien par l’eau (en noyant un enfant) que par le feu (en brûlant l’orphelinat).