Jan Švankmajer

Totalement à l'opposé de toutes les représentations inspirées par Disney et par le merveilleux, vraiment réalisé avec les moyens du bord, et pourtant... tellement plus intéressant ! "Neco z Alenky" est un bon moyen d'appréhender la véritable dimension du récit d'"Alice". À connaître !

C'est à une subversion du réel que nous invite Svankmajer. "Si tout à l'air normal, c'est que tu est trop loin" pourrait être la devise de ce film où le fantastique perce dés les prémices par d'infimes et singuliers dérèglement, que des gros plans soudains ne cessent de mettre en évidence. C'est au cœur de la matière, dans l'organisation des hasards, que gisent les secrets. Une atmosphère exacerbée par l'amplification des moindres frottements, craquements, froissements qui organisent presque à eux seuls l'essentiel de la bande sonore. C'est en passant de l'autre coté du décor (au sens propre) que le héros devenu alchimiste débutera sa quête initiatique au cœur des éléments. Mais bientôt frustré par l'aporie à laquelle le condamne son art, Faust décide de demander l'aide de Lucifer. Le Faust de Svankmajer est fidèle à celui de Christopher Marlowe écrit en 1592. Jan Svankmajer excelle ici dans les visions diaboliquement chimériques de l'un de ses films le plus purement surréaliste.

Ce sixième long métrage de Svankmajer est un petit chef-d’œuvre dans son genre, et un grand coup de pied au cul dans le showbiz de l'animation synthétique. C'est un collage de séquences filmées, de stop-motion et d’animation en papier découpé, et le résultat est étonnamment inventif. Au début du film, Svankmajer apparaît d'ailleurs pour avertir le spectateur, avec un humour non dénué d'ironie, que les choix techniques sont dus à des considérations non de style mais de budget. Malgré un dispositif volontairement minimaliste, Il parvient à rendre ses personnages attachants et dotés d'une vraie profondeur psychologique. Tout gravite autour d'une histoire très noire mais qui échappe au pathos et conserve jusqu'au bout un ton de comédie (certes amère) grâce à une distanciation faite de mystère et d'absurde emprunté au monde de l'enfance. C'est finalement désespéré, mais très beau.

C'est une comédie noire dont l'intrigue oscille entre le monde imaginaire et fou de l'enfance et celui prévisible et empesé des adultes. (Voir La petite fille Alzbetka tirer ses parents à la courte-paille est un moment d'anthologie féroce). Comme toujours chez Svankmajer, l'humour est amer et ses histoires racontent la suprématie vampirique du rêve sur la réalité. Une réalité souvent réduite au quasi-néant par la vision réductrice des adultes (obsession du Qu'en-dira-t-on, des apparences, de la logique). Même si tout semble sur le point de rentrer dans l'ordre à la fin, Svankmajer prend un malin plaisir à épingler les institutions ("les gens biens", la bureaucratie) et à s'affranchir de toutes limites raisonnables dans le développement de son histoire. Et c'est diablement réjouissant.