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Si la première collaboration Haneke/Binoche (Code inconnu) m'avait laissé très sceptique, on rattrape bien les choses avec ce film. Son scénario est très riche de réflexions, servi par une technique irréprochable et une ambiance parfaitement gérée.

Le pitch de départ : Georges, journaliste littéraire animant une émission de télé type "La grande librairie", joué par Daniel Auteuil, est la victime d'un corbeau, lui envoyant des vidéos de lui et de son domicile prises à son insu. La réalisation arrive très bien à recréer l'impression d'intrusion, de malaise, d'angoisse que cela doit provoquer chez ceux qui vivent cela. Un malaise qui déteindra sur le couple qu'il forme avec Anne, jouée par Juliette Binoche, puisqu'on voit bien que les tensions et les non-dits s'accumulent.

Mais ça déteindra aussi et surtout sur Georges lui-même. En cherchant une raison à ces menaces anonymes, il replongera de force dans son passé, dans des souvenirs douloureux qu'il avait enfoui et qui refont surface. Il se lance dans un travail d'introspection, assez réaliste car chaotique, pas linéaire, tantôt cherchant pour de vrai des réponses en lui, tantôt dans le déni, cherchant à s'en déresponsabiliser. Les notions de culpabilité et de pardon sont ainsi très présentes dans le film, et pertinentes, car rarement traitées en tant que telles, je pense.

Par ailleurs, sans vous gâcher le plaisir de découvrir le film par vous-même, on arrivera aussi à rattacher tout cela à un fait historique. Ça peut sembler abstrait dit comme ça, mais c'est hyper bien fait et pertinent, car vient apporter d'autres notions au film (différences de milieux sociaux, racisme,...). Et cela provoque même une forme de métaphore de la société dans son ensemble qui est dans le déni, un miroir entre Georges et nous. Spoiler(cliquez pour révéler)Car s'il y a bien un fait historique qu'on a du mal à regarder en face en France, c'est la colonisation et la guerre d'Algérie. A travers l'intrigue individuelle de Georges, on interroge aussi notre propre rapport à une histoire commune face à laquelle on a tendance à se déresponsabiliser.

Je pense que le film est une vraie belle réussite par la richesse des réflexions qu'il provoque, mais aussi car il gère très bien son ambiance sur toute la durée du film, jusqu'à littéralement la scène finale. Spoiler(cliquez pour révéler)Où on aperçoit sur la gauche de l'écran les deux fils discuter, sans qu'on nous dise de quoi il en retourne (complices ?). Avec une mise en scène très dérangeante, car rappelant complètement les vidéos du corbeau, donc pouvant aussi laisser penser qu'il est une tierce personne. Ça remet vraiment une pièce dans la machine de la boite à questions.

La mise en scène, primée au festival de Cannes, est d'ailleurs globalement parfaitement maîtrisée et servant totalement cette ambiance. Les vidéos du corbeau ont vraiment quelque chose d'effroyable, par la façon dont elles tranchent avec le reste du film, mais tout en y étant parfaitement intégrées. Le plus souvent on ne comprend qu'après de longues secondes qu'on nous montre une vidéo et pas un plan "normal" du film, il y a cette part de doute qui finit par nous accompagner sur tout le film. Puis il y a aussi une scène qui m'a littéralement laissée sans voix. Spoiler(cliquez pour révéler)Le suicide de Majid, comme ça, sans prévenir, giclures de sang sur le mur, alors là, clairement je ne m'y attendais pas.

En vrai, je ne vois pas de défaut notable au film (qu'on s'entende bien, si on met de côté les maniérismes habituels de ce réalisateur, qui peuvent ne pas plaire, par exemple ses rythmes assez lents : il est certain que si vous n'aimez pas ça, ça ne changera pas avec ce film, mais ce n'est pas un "raté" pour autant). Pour le classer, je suis donc seule face à ma subjectivité, et je suis incapable de vous expliquer le pourquoi du comment, mais les réflexions du film, même brillantes, n'ont eux qu'un écho partiel en moi. Spoiler(cliquez pour révéler)C'est peut-être générationnel ? Étant née en 1994, la guerre d'Algérie, pour moi c'est les livres d'histoire, il y a une culpabilité sociétale que je ne nie pas, mais personnellement, je n'y suis pas pour grand chose. J'imagine que pour la génération de mes parents ou de mes grand-parents, l'empathie pour le personnage de Georges serait plus naturelle. D'autres films du réalisateur, même parfois moins parfait techniquement, m'ont bien plus marqués que celui-ci (Le septième continent ou Benny's vidéo, par exemple). Par conséquent, je lui offre cette petite liste bronze, mais il mériterait certainement mieux.

Un film dérangeant, oppressant, angoissant, de grands acteurs et au final une oeuvre parfaitement maitrisée qui cependant peut laisser le spectateur sur sa faim. Personnellement j'ai beaucoup aimé mais je comprend qu'on puisse avoir un avis contraire.

Haneke signe encore une fois un film qui flirte avec le malsain, l'angoissant. Un scénario en béton ( un couple se sent épié, reçoit des cassettes vidéos les espionnant, puis des appels téléphoniques...), des acteurs de grands talents, une atmosphère froide, bref du typique Haneke. Du grand Haneke.