Drive My Car

Je me rends compte en écrivant ce commentaire que je prends plaisir à commenter ce film, à l'analyser, à essayer d'en comprendre toutes les subtilités ; ce qui constitue sans nul doute une preuve de la qualité de son scénario. Pourtant, strictement au moment du visionnage, je suis plutôt restée de marbre devant le film. Étrange contradiction, que je vais tenter d'expliquer.

Pour le pitch, on suit Yusuke, un metteur en scène de théâtre qui vit un double deuil : la mort récente et brutale de sa femme, et la mort plus ancienne de leur fille, événement clairement mal digéré malgré le fait qu'il remonte à quasiment 20 ans. Alors qu'il met en scène une nouvelle pièce, "L'oncle Vania" de Tchekhov, sa route va croiser celle d'au moins deux personnes qui vont l'amener à affronter ses démons. D'abord Takatsuki, un acteur à succès à qui il donne le rôle principal dans la pièce, alors même qu'il sait que sa défunte épouse le trompait avec lui. Ensuite Misaki, chauffeuse de voiture qu'il emploie à la suite de problèmes de vue, elle a l'âge d'être sa fille et elle cache elle aussi ses propres drames personnels.

Le scénario s'inspire de 3 nouvelles de Haruki Murakami, qui est l'un de les auteurs fétiches. Je suis passée à côté de ces nouvelles, la surprise était donc intacte au niveau de l'intrigue, même si j'y ai retrouvé des éléments assez emblématiques du style de cet écrivain, des bars qui diffusent du jazz aux séquences quasiment oniriques. Le plaisir est là, mais je ne peux quand même pas me défaire de l'impression que j'aurais préféré lire le livre que voir ce film ; je pense que ça aurait permis une meilleure immersion, empathie. Car moi, c'est vraiment un point qui m'a terriblement manqué dans ce film.

Je pense avoir compris ce qu'on me racontait, je pense avoir décelé les nombreuses thématiques du film. Mais je ne m'y suis jamais projetée malgré leur universalité. Le film se plaît en effet à nous montrer des personnages qui subissent un peu leur vie, en sont simplement passagers et non conducteurs, pour reprendre l'analogie de la voiture (Yusuke subit ses deuils et ses problèmes de vues, Oto subissait son mariage, Takatsuki subit sa célébrité, Misaki subit son passé et sa culpabilité...). Il nous montre aussi des personnages qui vivent par procuration à travers leur art (cette idée qu'il faut avoir souffert pour écrire, mettre en scène ou jouer une pièce) ou d'une autre façon (Yusuke qui écoute en boucle l'enregistrement de la voix de sa femme). Certains personnages secondaires apporteront des thématiques pertinentes également, notamment Lee Yoon-a, l'actrice sourde. Elle est très différente des autres, pour le coup, s'il y a bien un personnage qui ne se laisse pas abattre alors qu'elle avait des raisons de déprimer, c'est elle. Les meilleures scènes du film sont toutes avec elle, la répétition qui fonctionne enfin, le final de la pièce de théâtre, mais surtout le dîner, où elle nous fera une leçon d'empathie et d'intelligence sociale : vraiment un très beau moment. Mais mis à part quelques scènes lumineuses comme celles-ci, la plupart se trouvant à la toute fin du film, bah l'ensemble du film m'a plutôt semblé froid et plat, je n'ai pas eu d'attachement plus que ça pour les personnages.

Puis on ne va pas se mentir non plus, le film est long, quasiment 3h. Je ne suis pas certaine de comprendre (ni d'apprécier) l'étrange choix de construction, puisqu'on débute sur une très longue introduction de 40 minutes environ, avant que le film débute pour de vrai et se poursuit pendant encore 2h. Je précise bien que ce n'est pas une interprétation personnelle : il y a littéralement le générique après 40 minutes de film ; j'avais jamais vu ça ailleurs. J'ai trouvé que cette longue intro ne servait quasiment à rien... Pour moi c'est l'exemple type de la construction de film qui prend excessivement par la main le spectateur, nous prend un peu pour des idiots. Le réalisateur semble visiblement penser que sans ça, on n'aurait pas compris le film ou les personnages, alors qu'absolument pas. Puis ça provoque une envie de surenchère, par exemple, pourquoi passer tant de temps sur la mort de l'épouse, mais pas sur la mort de l'enfant ? Pourquoi ne pas avoir fait un flashback avec le passé de Misaki ? On peut remonter loin si on prétend à l'exhaustivité... Ça tranche aussi avec la fin assez ouverte, où chacun est libre de son interprétation.

J'ai eu pas mal de difficultés à regarder ce film, avec trop de lenteur à mon gout

Sympa mais pas le film du siècle non plus – probablement un film qui revient en mémoire par la suite car très riche et intéressant.

Alors oui, d’aucun pourra dire que c’est lent – mais j’ai pas trouvé ça si lent, et je n’ai pas vu les trois heures passer.

Parce que c’est subtil dans les personnages, que certaines histoires personnelles sont originales, que tout converge avec justesse, que j’aime bien le théâtre, que c’est enfin un film pas si déprimant que ça…

Parce que c’est souvent beau.

Bref, pas désagréable du tout sans que ça m’ait retourné ou ému aux larmes.